The calm before the storm [PV Malone D. Kensington]

L'appareil auditif de Phoenix fonctionnant assez mal, il pouvait en profiter pour aller le faire réparer chez des spécialistes. Or, ses parents avaient insisté pour qu'il aille carrément à l'hôpital pour se faire examiner les oreilles, pour voir s'il y avait quelque chose à faire pour les soigner.
Phoenix n'aimait guère les hôpitaux. Sa cécité l'empêchait d'imaginer à quoi cela pouvait ressembler. De son odorat et de son toucher, il en avait conclu que c'était un lieu très propre, voire un peu trop propre. L'odeur des antiseptiques lui donnait la nausée, la texture de certains objets le gênaient et les plaintes des malades mal retranscrits à travers ses tympans le mettaient mal à l'aise. C'est pour cela qu'il avait choisi d'emmener Virginie avec lui. Il aimait bien cette petite, le petit ange de son cousin Lawrence Sterling. Mais était-ce réciproque ? Depuis que ce brave homme a mis fin à ses jours, sa fille était encore plus démolie moralement. Déjà à 7 ans elle devait s'occuper d'un handicapé de 31 ans, les parents n'étant pas toujours disponibles en ce mois de Novembre.

La marche à pied de Wakefield Place à Hunslet District était éprouvant pour les deux compères : Virginie guidait Phoenix en tirant sa canne vers elle et donnait des légers coups pour lui indiquer de s'arrêter ou de continuer à marcher sur les passages piéton.
" Si je pouvais toujours aussi bien entendre, tu n'aurais pas à te donner tant de mal à faire le GPS, Virginie. " lui dit le jeune trentenaire.
Virginie répondit par un " mh " inaudible en faisant la moue. N'entendant pas de réponse, Phoenix insista :
" Je suis désolé, sweetie. "
Virginie lui hurla que ce n'était pas grave. Deux fois. Sur un ton attristé car la façon du jeune homme de l'appeler " sweetie " lui faisait beaucoup penser à son père qui la surnommait de la même manière.

Arrivés à l'hôpital, Virginie indiqua brièvement à son oncle où s'asseoir avant de se vautrer sur une chaise pour enfants placée à côté d'une table ornée de jouets. Voyant le jeune aveugle faire tomber sa canne et paniquer pour essayer de la retrouver, elle se releva, une peluche d'ours bleu à la main, et vint " à son secours ". Phoenix saisit ladite peluche que l'enfant lui tendait et se mit à la caresser, à la cajoler. La douce texture du jouet l'apaisait malgré les zones humides de bave.
Virginie se baissa pour saisir la canne mais heurta sans faire exprès une autre personne. Elle se redressa vite et s'excusa avec beaucoup de politesse. Cependant, en faisant la révérence, elle remarqua que les jambes du jeune garçon devant elle n'avaient pas la même proportion. Du tout. L'une était plus courte que l'autre ; anormalement plus courte. Prise de peur et de dégoût, elle se réfugia auprès de son oncle et se cramponna à son bras.

" Qu'est-ce qu'il se passe, Virginie ? " lui demanda Phoenix. " Si tu ne supportes pas la puanteur de l'hôpital, tu n'as qu'à respirer dans mon manteau. "

Profitant de la surdité de Phoenix et de sa fixation sur son ours en peluche, Virginie demanda à l'inconnu : " Elle est où, votre jambe ? Comment vous allez courir si vous ne l'avez plus ? "

Le plafond... Il avait perdu tout son intérêt il y a déjà trois heures. Shooté aux anti-douleurs, j'avais somnolé un peu avant de réaliser que la souffrance avait simplement été remplacée par des fourmillements et que cette saloperie ne m'avait même pas fait dormir. Et ce malgré la surdose engloutie... Je sais je sais, c'est super intelligent, surtout de la part d'un futur médecin mais cette nuit avait été un enfer. Déjà que j'étais insomniaque si en plus le membre fantôme s'en mêlait, j'allais devenir dingue. Depuis mes retrouvailles foireuses avec Eileen, c'était devenu pire... Sûrement parce que je n'arrêtais pas de penser à la nuit de l'accident. Grommelant, je jetais un coup d'oeil à mon réveil analogique. Je m'étais promis d'attendre encore quelques heures avant d'aller à l'hosto, me persuadant que les violentes douleurs se réduiraient elles-mêmes au silence. Mais rien à faire ! Je connaissais pourtant tous les trucs sensés persuadés mon cerveau que je n'avais plus de jambe droite... Je grimaçais. Il ne restait que le coup du "poignardage" de prothèse mais ce sera la troisième ce mois-ci, l'assurance allait finir par péter les plombs.

Je me propulsais donc hors de mon lit, essayant de faire taire la sensation brûlante d'un pied inexistant. Autumn ayant disparu brutalement à son tour, j'en étais réduit à vivre seul dans notre énorme appartement. Alyssa me téléphonait régulièrement pour vérifier que je n'avais pas fait une overdose de médocs : charmant pas vrai ? Bref, ça craignait grave. Je téléphonais à la petite société de taxis du coin et enfilais des fringues moins fripées avec la dextérité et la grâce d'une vache en tutu exécutant un entrechat. Le pied, j'vous jure. Bref, j'vous passe les détails gênants et les jurons, on sait jamais ça pourrait blesser la sensibilité des plus jeunes. Enfin, j'étais sur le trottoir quand mon taxi arriva et 20 minutes plus tard, j'étais dans la salle d'attente des urgences, la tête entre les mains, lèvres pincées et concentration maximale pour oublier que j'avais zappé ma prothèse. Être mal à l'aise n'aidait VRAIMENT pas à lutter contre la douleur. Finalement, je me redressais tant bien que mal en entendant le bruit sec d'un objet qui tombe pour me retrouver nez à nez avec une gamine aux grands yeux expressifs. J'éclatais de rire -la fatigue sans doute- lorsqu'elle me posa une question tellement naturelle dans la bouche d'un enfant. "Et bin, j'aimerais bien le savoir, si jamais tu le découvre, tiens-moi au courant !" Et me voilà reparti dans un fou-rire -non les médicaments !- que je tentais de réprimer pour éviter d'effrayer la petite fille. Je me tournais vers l'adulte auquel elle s'était agrippée. "Je suis vraiment désolé ! Je ne veux pas lui faire peur mais j'ai passé une sale semaine..." Je baissais les yeux sur la canne blanche, comprenant directement sa signification. D'un coup, ça minimisait ma galère. Au moins, je pouvais encore voir ceux que j'aimais.

" Elle est où, votre jambe ? Comment vous allez courir si vous ne l'avez plus ? "
" Et bin, j'aimerais bien le savoir, si jamais tu le découvre, tiens-moi au courant ! "

Virginie fut moins inquiète par la réponse du jeune homme en face d'elle. Elle en était même amusée, elle ricanait un petit peu. Mais ses fous rires incontrôlés la transformait en liquide à chaque spasme qui secouait les épaules de l'inconnu.
Phoenix leva la tête au moment où il l'entendit s'excuser. Il avait aussi entendu le mot " peur ". Fixant le jeune homme droit devant lui sans le voir, Phoenix lui demanda :

" Je vous demande pardon, Monsieur ? Il y a un problème ? "

Il tourna la tête du côté opposé de sa nièce et lui demanda si elle avait adressé la parole à quelqu'un. La petite fille se mit près de son oreille et lui dit doucement que la personne qu'elle avait abordé involontairement n'avait qu'une jambe. Phoenix se tourna dans la bonne direction et lui demanda de répéter.

" Il y a un monsieur avec une jambe en moins ! " lui cria Virginie dans l'oreille.

Phoenix hocha la tête, ravi d'avoir pu entendre la phrase en entier. Mais il se rendit compte avec du retard que ce qu'elle disait pouvait gêner les autres malades, surtout si elle l'avait crié de sa petite voix aigüe.

" Tu sais, tu devrais éviter de dire ce genre de choses ici, surtout si tu parles fort. Le monsieur en question doit être très embarrassé, maintenant. C'est pas toujours facile de ne plus avoir quelque chose avec soi, regarde-moi. "

Virginie baissa les yeux. Elle n'osait plus regarder ni le jeune homme amputé, ni son oncle se lever pour rejoindre l'autre côté de la pièce en disant : " D'ailleurs, je vais lui demander s'il a trouvé ma canne. ".
Virginie voulut le retenir mais sa main restait levée, comme pour tirer la manche de son oncle. Elle pouffa cependant de rire en voyant Phoenix garder son ours en peluche dans la main. Il ressemblait tellement à un enfant malgré son âge ! C'était sa tignasse blonde à bouclettes et ses yeux innocents qui trahissaient sa véritable nature qu'il ne leurre pourtant pas. Elle repartit à la table remplie de jouets, le sourire s'effaçant petit à petit et se mit à jouer avec une sorte de château truffé de fils faisant glisser des boules de couleur. Elle en faisait rouler une par-ci, en faisait tourner une autour d'une boucle de fils par-là. Ce qu'elle souhaitait en ce moment était de rentrer à la maison et de jouer avec son chaton tout mignon. Cet hôpital lui rappelait de mauvais souvenirs, notamment de son défunt père qui venait de temps en temps ici pour subir diverses opérations chirurgicales. Rien que d'y penser, cela lui mettait les larmes aux yeux.

Phoenix s'adressa à l'inconnu malgré son attitude gauche et son regard fixant le mur :

" Je suis navré de vous déranger mais... vous n'aurez pas vu ma canne ? Je l'avais fait tomber en voulant m'asseoir mais je ne sais pas où elle est. "

Virginie ajouta timidement : " Tu devrais retourner t'asseoir, tonton Phoe' " en vain. Son oncle ne bougeait pas d'un pouce.

Des nuits comme celle que je venais de passer n'étaient pas rare mais elles en venaient rarement à un tel état de fatigue mentale. Je tachais tant bien que mal de me reprendre ou plutôt de reprendre le contrôle de mon cerveau en folie. Je venais de péter les plombs et au regard interrogateur de la fillette, ça ne devait pas être joli joli à voir. Je m'excusais auprès de l'adulte qui l'accompagnait avant de me rendre compte qu'en réalité, elle semblait être la plus adulte de deux. Je plissais les yeux pour analyser la scène de cette gamine au sourire angélique flanquée d'un type assez agé pour être son père qui s'en remettait à elle comme au messie. Je grimaçais, ma cervelle était sur le point d'exploser, tout comme ma jambe fantôme d'ailleurs. Je baissais les yeux, me forçant à voir son absence, ce qui prit cinq bonnes minutes vu que ma cervelle d'oiseau la remettait en place. Le pire étant qu'en approchant les doigts, il me semblait sentir un mollet sous la main. A nouveau ce drôle de couple me tira de mes exercices de concentration morbides. Finalement, il était peut-être l'adulte ce grand "dadet" aux boucles rétros. Je soupirais, bien sûr que non je n'étais pas mal à l'aise... La vérité sort de la bouche des enfants, même si elle est aussi assassine qu'un couteau de cuisine. Mais en réalité, j'aurais aimé que la petite fille le hurle à mon cerveau jusqu'à ce que la douleur disparaisse. Je refermais les yeux. L'attente me semblait interminable.

J'avais à peine réalisé les autres patients alors quand le type s'approcha de moi alors que sa canne était à deux mètres de sa chaise à lui, je faillis doucement sortir de mes gonds. Épuisé, brisé par la souffrance, j'étais à deux doigts de l'envoyer paitre avec une violence non maitrisée. Pourtant, quand mon regard se posa sur l'ours en peluche, je ne pu retenir un sourire. Enfin une grimace dirons-nous. Je savais que ma voix était grinçante mais je tentais pourtant de répondre en hélant la gamine. "Tu peux amener sa canne à ton oncle ? Je crois que tu es mieux placée que moi..." Je serrais les dents quand un nouveau spasme agita ma jambe. Non ! non et non ! Pas ma jambe ! Le vide, rien que du vide. J'avais envie de pleurer tellement je désespérais. Une femme avec son bébé alla s'assoir un peu plus loin de moi en voyant la rage passer sur mon visage. Je souris d'un air désolé mais en réalité, je devais paraitre effrayant. "Vous devriez vous assoir Monsieur...", lançais-je d'un ton fort alors que la petite demoiselle revenait avec la canne. "Merci milady." Je laissais à nouveau mes paupières retomber, espérant un peu de calme.

Virginie prit sa tête dans ses mains, honteuse et effrayé par ce qui risquait de se passer. Cet unijambiste souffrant pouvait faire du mal à Phoenix à tout moment ! Elle voulut l'appeler mais elle n'osait pas. Elle craignait que le jeune homme ou un autre patient s'énerve et ébranle l'ambiance qui était silencieuse malgré cette tension qui les mettait mal à l'aise.
Au moment où elle voulut se boucher les oreilles, elle entendit le jeune homme lui demander d'amener la canne à Phoenix sur un ton qui se voulait être gentil mais ce grincement parasite força Virginie à se lever, se ruer vers son oncle et se cramponner à son pantalon aux jambes larges. Phoenix eut un sursaut et fit plusieurs mouvements de tronc pour regarder derrière lui.

" C'est toi, Virginie ? " demanda-t-il en serrant son ours en peluche contre lui, " combien de fois je t'ai dit de ne pas me faire peur, je n'aime pas ça ! "

Chagriné par le ton grognon de Phoenix, Virginie se dépêcha de ramasser sa canne et de la lui porter.

" Merci milady. " répondit l'inconnu.

Virginie hocha nerveusement la tête en disant " De rien " d'une petite voix timide. Elle baissa la main de Phoenix qui était vers sa poitrine et ferma ses doigts sur la canne. Le jeune trentenaire à la tignasse blonde remercia sa nièce qui lui souriait malgré son regard inquiet.
Phoenix avait certes entendu ce qu'avait dit le jeune homme en face de lui mais il l'ignorait tellement il était ravi d'avoir sa nièce adorée à ses côtés. D'ailleurs, cette dernière la guida jusqu'à sa chaise et lorsqu'il fut assis, elle lui cria dans l'oreille : " Tu restes tranquille, d'accord ? "
Phoenix, tout penaud, hocha docilement la tête. Un migraineux situé à quelques mètres du trentenaire secoua la tête d'un air méprisant en voyant ses yeux bleus qui ne semblaient jamais se fermer fixer l'unijambiste, l'air hagard.

Virginie, pris d'un élan de courage, serra ses petits poings et inspira à fond pour aller voir l'unijambiste. Elle fut même surprise à penser que cet homme pourrait être très mignon s'il n'était pas aussi cinglant. D'ailleurs, elle espérait l'apaiser en s'excusant :

" Euh... Je suis désolée si j'ai dit que vous n'aviez qu'une jambe... " fit-elle en frottant ses mains l'une contre l'autre. Elle continua en bafouillant : " Tonton Phoe' lui, a perdu ses yeux et n'entend rien. Enfin si, un peu, mais... " Elle regarda le sol immaculé de la salle d'attente. " Vous êtes pas le seul à avoir perdu un truc, tonton Phoe' non plus. Moi j'ai perdu mon père et je n'ai même pas d'ailes pour le revoir au Paradis... "

Elle frotta ses yeux qui s'embuaient de larmes. Il était impossible de penser à autre chose qu'à son père. Elle voulait bien l'oublier mais ses lèvres mentionnaient toujours son nom et son visage se mettait sans cesse dans son champ de vision, surtout si Phoenix a les mêmes yeux de glace que ce charmant défunt.

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