En ce mois de pluie, Phoenix avait beaucoup de mal à divertir Virginie qui se morfondait de plus en plus depuis que son père s'est donné la mort. Ses grands-oncles, ne sachant pas quoi faire, suggérèrent d'octroyer aux grands-parents de la jeune fille la garde d'enfant officielle. Suggestion qui allait se confirmer et qu'elle et Phoenix, qui suppliait ses parents de la laisser avec lui, n'allaient pas y échapper. Le jeune aveugle avait beau insister, son père lui criait toujours que non c'est non, ils n'allaient pas changer d'avis.

" Si vous voulez me séparer de ma nièce, " dit Phoenix à ses parents, " alors autorisez-la à aller se promener avec moi. Pour une dernière soirée tous les deux. S'il vous plaîîît Papa et Maman chéris. "
Ils entendirent la demande du jeune homme larmoyant et l'accepte. Phoenix appela vite sa nièce pour qu'elle se prépare. Sa maman cria dans son oreille qu'elle allait les emmener en voiture devant le Freedom, un bar à l'ambiance bon enfant et rustique. Phoenix souriait en écoutant la brève description de ce bar. Si seulement il pouvait voir !

Le trajet se passa sans encombre. Virginie aida son oncle à sortir du véhicule en le prenant par la main.
" Amusez-vous bien ! Je reviendrais vous chercher dans deux ou trois heures. " leur cria la mère avant de repartir.
Virginie guida Phoenix par le bout de sa canne jusqu'à l'intérieur du Freedom. La musique était suffisamment forte pour le jeune trentenaire puisse l'entendre. C'était une musique entraînante jouée par des instruments acoustiques et qui donnait une folle envie à Phoenix de claquer des doigts et de taper du pied en rythme.

" Grand-tatie a dit qu'il y avait des muffins ici ! " hurlait Virginie à son oncle.

En entendant le mot muffin, Phoenix afficha un large sourire sur son visage. Il s'agenouilla à côté de sa nièce et lui demanda de l'emmener là où ils pourraient en commander. Elle s'exécuta et le traîna au bar, situé au milieu du pub. Elle l'aida à s'asseoir sur ces hauts tabourets avant de s'installer et de poser ses coudes sur la table en regardant alentours. "L'architecture" de l'intérieur du bâtiment la charmait beaucoup.

" Ça doit être vraiment chouette, ici " s'exclama Phoenix avec joie, " j'espère qu'il y aura plein de pépites de chocolat sur ces muffins ! " continuait-il de son superbe accent écossais sans sentir la présence d'une cliente qui s'approchait du binôme.

Les premiers flocons avaient commencé à tomber à Leeds. Enfin, c'était surtout de la neige fondue, mais Maddie Shields y voyait le début d'un hiver magnifique. Elle adorait la neige et voir les rues de sa ville revêtues de blanc. La jolie blonde devait rejoindre un ami au Freedom afin de prendre un verre en dégustant des muffins, spécialité de cette endroit. Maddie avait un doute quant à la venue de cet 'ami'. Il était souvent en train d'annuler au dernier moment, mais elle l'aimait tellement qu'elle ne pouvait refuser ses invitations. La jeune femme entra donc dans le Freedom et balaya la salle du regard à la recherche de son ami. En vain. Elle regarda sa montre et haussa les épaules. Après tout, elle était un peu en avance, autant aller attendre au bar. En s'approchant du bar, Maddie entendit un homme parler très fort avec un accent très prononcé. Accent qu'elle n'avait entendu qu'une autre fois depuis des mois. C'était aussi celui de Lawrence Sterling avec qui elle avait sympathisé mais qu'elle n'avait pas revu depuis un bon moment.

La jeune femme sourit en s'asseyant à côté de l'homme qui devait être avec sa fille, et se dit qu'elle devrait peut-être passer un coup de fil à Lawrence histoire d'aller boire un café. Elle ne remarqua pas la canne d'aveugle de son voisin de bar et se mit à l'observer. « Ne vous inquiétez pas, vous allez vous régaler avec les muffins du Freedom ! Ils sont vraiment délicieux. Et après cette soirée, votre fille va vouloir revenir tout le temps. » s'exclama Maddie en souriant. Elle ne savait pas que cet homme était à moitié sourd, mais étant donné qu'elle avait l'habitude de parler plutôt fort, il devait au moins avoir entendu que sa voisine de comptoir s'adressait à lui.

Phoenix sursauta en entendant quelqu'un répondre à ses exclamations non-réfléchies. Il pivota la tête plusieurs fois avant de dévisager cette jeune cliente aux cheveux incroyablement blonds de ses yeux bleus fixes sans la voir. Il put entendre la suite de sa phrase et sourit non seulement à la haute réputation des muffins du Freedom mais aussi à la petite Virginie qui se faisait passer pour sa fille au lieu de sa nièce à ses yeux.
Il ricana gentiment avant de rétorquer :

" Oh non, ce n'est pas ma fille mais ma nièce. On ne se ressemble pas du tout. Du moins, pas à ma connaissance, haha ! "

" Mais ce qui est sûr, c'est que je vais revenir tout le temps ! " répondait Virginie en s'agitant sur son siège.

Revenir tout le temps... Si seulement il pouvait encore le faire. Phoenix était conscient que cette soirée en compagnie de cette enfant candide allait être la dernière, et il compte en profiter à fond !
Il continua la conversation à peine commencée, se façonnant dans sa tête l'image des muffins qu'il avait déjà touché et mangé dans sa jeunesse. Cela lui mettait étrangement l'eau à la bouche.

" Vous venez souvent ici ? "

Une question absolument banale, limite dragueur, mais ce n'était pas intentionnel. Virginie secoua frénétiquement la manche de son oncle en lui criant : " J'ai faim ! J'ai trop hâte ! ". Le jeune aveugle à la tignasse bouclée caresse la tête de l'enfant en lui disant d'attendre, que plus les muffins sont cuites et plus elles sont délicieuses. Il commença d'ailleurs à sentir leur douce odeur qui lui fit remonter des souvenirs d'enfance.

" Je me souviens, quand j'étais petit, on avait mangé des muffins pour fêter l'anniversaire d'un camarade de classe. Ce vilain farceur avait remplacé les pépites de chocolat par des raisins secs. Les autres ne le savaient pas, moi encore moins, mais je les entendais grimacer. On était bien dégoûtés mais une fois ce moment passé et raconté entre potes, qu'est-ce qu'on a rigolé ! "

Virginie pouffait de rire derrière sa main. Elle regarda la jeune femme pour savoir si elle aimait aussi cette anecdote.

Quand l'homme tourna sa tête vers elle, la jeune femme remarqua une chose étrange dans son regard. Il la regardait sans la regarder. C'est à ce moment que la jeune femme remarqua la canne d'aveugle à côté de son interlocuteur. Mais elle ne fit aucune remarque là dessus. C'était un très gentil oncle qui amenait sa nièce mangeait des muffins. Maddie n'avait jamais eu d'oncle de ce genre. Mais elle n'avait jamais eu à se plaindre non plus. Surtout après la mort de sa mère, son père a tout fait pour son frère et elle. Afin qu'ils se sentent le mieux du monde et qu'ils puissent être heureux. Et c'était mission réussie.

Le jeune homme lui demande si elle venait souvent dans le coin.
« Oui ça m'arrive. Je dois rejoindre un ami aujourd'hui, mais il est tellement peu fiable, que je ne suis pas sûre qu'il vienne. Enfin, on verra bien ! » La jeune femme se tourna vers la petite fille qui se languissait de manger. « Ne t'inquiète pas, l'attente vaut largement le résultat. Tu vas te régaler avec ces muffins ! » Elle lui sourit. Maddie aimait beaucoup les enfants, et quand elle aurait enfin trouvé un homme qui lui correspondrait, elle aimerait beaucoup en avoir. Rêveries de côté, l'homme aux longs cheveux bouclés raconta une anecdote sur les muffins. « Eh bien, si on avait remplacé les pépites de chocolat par des raisins secs dans mes muffins, je crois que j'aurai foutu un bon coup de pied dans le tibia du responsable ! » plaisanta Maddie. « Je déteste les raisins secs. » grimaça-t-elle. « Et toi tu aimes ça princesse ? » demanda Maddie à la nièce. « Au fait, je m'appelle Maddie ! »

La réponse de la jeune femme blonde à la plainte de Virginie sur le temps que prenaient les muffins à cuire adoucissait cette dernière... pendant un court instant. Elle recommença à s'agiter sur son siège. Phoenix, qui sentait les frottements des vêtements en jeans de la petite, lui dit :

" Arrête de faire ça, ça me chatouille et tu vas m'envoyer des châtaignes ! "

Virginie s'arrêta vite lorsqu'il lui avait mentionné le mot châtaigne. Elle ne comprit pas qu'il parlait de ces petites charges électriques que l'on subit lorsqu'on se frotte contre une certaine matière textile, créant de l'électricité statique.

" Jamais je t'enverrais des châtaignes, tonton Phoe ! Ça pique trop ! " répondit Virginie un peu hébété.

Phoenix riait à l'incompréhension de sa nièce avant de rester silencieux un court instant... avant de parler d'un de ses souvenirs d'enfance à propos des muffins.
Sentant la voix de son interlocutrice s'élever, le jeune trentenaire s'approche d'elle pour mieux entendre sa réponse en entier. Il rate quelques mots mais il comprit que s'il devait faire une blague à cette jeune femme, il ne devra JAMAIS remplacer les pépites de chocolat par des raisins secs au risque d'avoir mal. Phoenix ria jaune à cette pensée.

" Et toi tu aimes ça princesse ? " demanda-t-elle à Virginie.

Cette dernière secoua la tête en tirant la langue et déformant son joli visage de poupon. " Beurk ! " fait-elle.

La feune jemme aux cheveux d'or, qui s'avère être Maddie, divulgua ce nom privé de sa troisième syllabe.
" Moi je m'appelle Virginie Sterling ! " dit-elle sans se rendre compte qu'elle venait de révéler son nom de famille. Réalisant son erreur, elle porta la main à sa bouche et se retourna en direction du comptoir pour regarder ses traits fins de bois taillé.

Son oncle, qui sortit de sa rêvasserie en sursautant, répondit en bafouillant :
" Ah, euh...! Mon nom est Phoenix, comme l'oiseau de feu. Ma mère aime beaucoup de prénom, elle dit que je suis roux. Mais mon père et ma nièce disent que je suis blond. Je ne sais pas à quoi ça ressemble, le roux et le blond ! La seule couleur que je vois, c'est du noir. Du noir partout. Je vous jure, des fois j'ai peur, surtout le soir, mais heureusement j'ai ma famille. Et mes doudous, haha ! "

Phoenix hocha la tête maintes fois sur le côté au rythme de la musique. Il fut soudain pris d'une légère gaieté. C'était sans doute les muffins qui arrivaient, tout droit sortis du four et posés comme des princes sur un plateau que tenait une serveuse.

" Youhou ! C'est pour nous ! " s'excita Virginie avec joie.

Eh bien cette petite fille était tout à fait adorable. Elle fit une telle grimace pour marquer son dégout pour les raisins secs que Maddie pouffa de rire. La petite fille révéla son prénom et son nom de famille. Un nom de famille que Maddie avait déjà entendu. Cependant avant de demander s'il y avait un quelconque lien entre Lawrence et cette petite famille, la jeune femme répondit à l'enfant. « Tu as un très jolie prénom Virginie. » dit-elle en lui souriant. L'oncle de Virginie se présenta à son tour. « C'est original comme prénom, je n'ai jamais croisé de Phoenix avant vous ! Quant à vos cheveux, je les vois plutôt blond vénitien, c'est à dire entre le blond et le roux ! » s'exclama Maddie en riant. La jeune femme se demanda si Phoenix était né ou était devenu aveugle. Cela ne devait pas être très facile de vivre dans le noir comme ça, encore moins de s'occuper d'une petite fille comme Virginie. Mais Phoenix semblait très confiant avec la petite. « On peut toujours compter sur la famille, ça c'est clair. »

Les muffins arrivèrent enfin, devant une Virginie qui trépignait d'impatience. Maddie n'en avait pas encore commandé. Elle regarda sa montre rapidement. Son rendez-vous avait déjà une quinzaine de minutes de retard. A tous les coups, il ne se pointerait pas. « Alors, ils sont comment ces muffins? » La petite fille semblait se régaler. La jeune femme en profita pour poser sa question à Phoenix. « Votre nom de famille c'est Sterling ? Je connais un Lawrence Sterling ça vous dit quelque chose ? Vous me faites un peu penser à lui, c'est bizarre. » Maddie souriait légèrement en attendant la réponse de Phoenix.

Virginie rougissait en entendant Maddie complimenter son prénom. " C'est mon papa qui l'a choisi " dit-elle en mettant son doigt dans un coin de sa bouche. " Il m'a toujours élevé comme une princesse, je m'en plains pas. " ria-t-elle.
Lorsque ce fut le tour de Phoenix, il imita sa nièce et fut un peu embarrassé de connaître la réelle coloration de ses cheveux.
Vint ensuite la famille. Ah, la famille ! C'était une des choses les plus merveilleuses au monde aux "yeux" de Phoenix et Maddie était du même avis :

" On peut toujours compter sur la famille, ça c'est clair. "

Phoenix hocha sa tête en direction de Maddie avec un sourire. Mais Virginie se dépêcha de dire :
" C'est vrai ! Surtout pour tonton Phoe', c'est un vrai bébé. Il a toujours besoin de moi. "
" Hey, si t'étais à ma place, tu compterais tout le temps sur quelqu'un pour qu'il t'aide à pas te faire tailler un short lorsque tu traverses la route, vilaine ! " riposta Phoenix avec un sarcasme doux, ce qui rend la fillette grincheuse de se faire traiter de vilaine. " 'suis pas vilaine... " dit-elle boudeuse et en croisant les bras.

Enfin, les muffins arrivèrent. Ils furent à peine posés sur la table que Virginie, qui changea d'attitude tel un bipolaire, se jeta dessus comme un louveteau.
" Tu m'en laisseras, quand même, eh ? " lui dit Phoenix en ricanant.
Virginie hocha passivement la tête et mit trois muffins du côté de l'assiette. Pendant que le jeune trentenaire tâta la table avant de poser la main sur un muffin, Maddie demanda s'il connaissait un certain Lawrence Sterling. Phoenix mordit dans son muffin en versant une petite larme de deuil et de mélancolie.
" Lawrence... " commença-t-il faiblement, " était mon cousin... "
" Et il est au ciel. " finit Virginie avec une voix sans émotion. Elle voulait pleurer mais ne pouvait plus. " Y avait que là-bas où il pouvait avoir un cœur qui marche. "

La jeune femme s'était attendue à toutes sortes de réponses. Lawrence aurait pu être un cousin éloigné, ou alors un inconnu qui avait seulement le même nom de famille que la petite Virginie, mais elle ne pensait pas qu'on lui donnerait cette réponse là. D'ailleurs, il lui fallu quelques secondes pour l'assimiler, puis elle sentit son coeur tomber choquée par la nouvelle.  « était ? ... au ciel ? » balbutia Maddie. D'abord choquée, elle se rendit ensuite compte qu'elle venait très certainement de plomber l'ambiance de leur petite soirée muffins. « Mon Dieu, je suis vraiment désolée, je ne savais pas du tout. » La jeune femme blonde se sentait très mal à l'aise maintenant et elle n'en revenait pas que Lawrence soit décédé.

« En fait, je l'ai rencontré quand il travaillait au casino. » dit-elle pour justifier la connaissance. « Je l'ai beaucoup apprécié. Mais oh.. Je suis désolée. Je n'aurai pas du en parler, je vous ai gâché la soirée. » Maddie observait. « Je devais peut-être partir et vous laissez tranquille. » suggéra la jeune femme. Elle pourrait aller attendre à l'autre coin du comptoir ou carrément rentrer chez elle.

Maddie était très choquée par la terrible nouvelle à propos de Lawrence Sterling. Sa compassion attristait encore plus Phoenix et Virginie qui, fatiguée par cette tension brusquement installée, éloigna l'assiette de muffins et posa sa tête sur ses bras croisés sur le comptoir.

La jeune femme blonde commença son récit par sa première rencontre avec Lawrence mais elle s'interrompit vite en les prévenant de son possible départ du bar. Phoenix prit par hasard le poignet de Maddie et lui dit vite :

" Non, restez. Je veux en savoir plus sur votre rencontre avec mon cousin. "

Maddie semblait gentille, mais si elle accepte de répondre à la requête du jeune trentenaire, il pourrait peut-être en savoir plus sur elle. Qui sait, peut-être que c'est une personne importante qu'il vaut avoir dans son groupe d'amis.
Pour retarder le départ de la jeune femme, Phoenix reprit en lâchant son poignet :

" Lawrence est... était un très bon croupier. Il était passionné par les jeux qui dataient comme les cartes. Il avait même un train électrique lorsqu'il était gosse ! 'Faut dire qu'il a toujours été vieux jeu. " Il s'esclaffa à son jeu de mot. " Virginie a pu récupérer ce petit train. "
Il ajouta en tapotant le dos de sa nièce : " J'espère que tu en prends bien soin, eh ? "
Virginie dit un " Oui, tonton Phoe'... " étouffé.
Il continua son récit après une pause : " Il gagnait beaucoup en tant que croupier. J'aurais bien aimé prendre la relève mais je suis aveugle et à moitié sourdingue ! J'peux pas jouer correctement aux cartes avec un mec sans faire n'importe quoi ! Et puis les cartes c'est pas mon truc. Je préfère l'électronique, les jeux vidéo. C'est plus marrant. "
Il gratifia d'un sourire coquin avant de prendre une bouchée d'un deuxième muffin après qu'il ait fait tomber le premier entamé par terre sans s'en rendre compte.

La jeune femme s’apprêtait à partir quand Phoenix la retint par le poignet. Elle regarde son visage, et bien qu'il ne put la voir, elle ne pouvait partir face à une telle expression. Maddie reposa son derrière sur le tabouret. Elle était toujours sous le choc de la nouvelle. A vrai dire, en venant dans cet endroit, elle ne pensait pas rencontrer des personnes qui lui annonceraient la mort d'un homme qu'elle connaissait. Phoenix continuait de parler et Maddie l'écouta avec attention. Elle sourit légèrement à l'évocation des quelques souvenirs. « En fait, j'ai rencontré Lawrence à l'occasion d'une soirée organisée au casino. j'avais reçu une invitation pour y aller, et je m'étais dit "pourquoi pas ?" » Maddie marqua une pause. « Je n'aurai pas dit qu'il était vieux jeu, plutôt hors temps en fait. » Utiliser le passé pour désigner Lawrence Sterling était une expérience assez bizarre. Maddie supposa qu'il faudrait qu'elle s'y habitue, surtout si elle recroisait Phoenix et Virginie.

Maddie commanda rapidement au service une bière. Vu l'heure, son rendez-vous ne se pointerai jamais, alors autant boire un verre et discuter avant de rentrer chez elle. « Il était galant en fait. Très poli, c'était agréable ! Il m'a appris à jouer à un jeu de cartes. Qu'est ce que c'était déjà ? » La jeune femme réfléchit à leurs parties de carte. Il fallait qu'elle atteigne un certain nombre de point en choisissant de retourner ou pas des cartes. Mais elle avait totalement oublié le nom du jeu. « Il me semble qu'il fallait que je fasse 21 points. Enfin ça n'a pas vraiment d'importance. » Maddie sourit légèrement. « J'ai passé une très bonne soirée avec lui. Je dois dire qu'il m'a marqué d'une certaine manière..  » La jeune femme remplit le verre de la bière apportée par le serveur, et but une gorgée. « Comment... Comment est-ce que c'est arrivé ? » osa demander Maddie tout doucement. « Vous n'êtes pas obligé de répondre. » rajouta précipitamment la jeune femme plutôt gênée.

Phoenix mâchait patiemment son morceau de muffin, guettant la moindre syllabe qui proviendrait de la bouche de la jeune femme. Il s'avérait qu'elle était finalement restée et précisa que sa rencontre avec Lawrence était partie d'une invitation à une soirée organisée par ce dernier au casino. Le jeune trentenaire pencha la tête sur le côté, le visage impassible.

" Je n'aurai pas dit qu'il était vieux jeu, plutôt hors temps en fait. " ajouta Maddie.

Phoenix se mit à rire avant de répondre en redressant sa tête et en tapotant ses doigts contre le comptoir :

" Il était surtout coincé. Il s'était trop introduit dans les années 50 ou je n'sais quoi. "

Virginie se boucha les oreilles, le front toujours contre le comptoir en bois. Elle ne pouvait supporter d'autres insultes à l'égard de son père, même si ce n'était pas méchant.
Maddie décrivit brièvement sa soirée avec Lawrence, notamment le moment où il lui avait appris à jouer à un certain jeu de cartes dont elle avait oublié le nom. Phoenix s'approcha de la jeune femme blonde pour mieux l'entendre. Ses souvenirs se mirent à chambouler dans sa tête lorsqu'elle donna le nombre de points qu'il fallait pour gagner à ce jeu.

" Ahhh, 21 points ! " s'exclama Phoenix, " Lawrence m'avait parlé de ce jeu de cartes ! Il voulait me l'apprendre mais j'avais refusé. Comment je pourrais y jouer de toute façon, avec mes phares éteints ! " Il désigna ses yeux en les appelant " phares éteints ". " Il me l'avait dit, putain... Je crois que c'est... B-Back.... Backlack, non... Bajack... Backjack ou un truc comme ça... "

Il fut rassuré de ne plus triturer son cerveau lorsqu'il entendit son interlocutrice dévier sur le sujet qui était toujours le même :
" J'ai passé une très bonne soirée avec lui. Je dois dire qu'il m'a marqué d'une certaine manière.. "
Phoenix afficha un sourire moins sarcastique sur son visage musclé :
" Il a toujours eu beaucoup de panache, de classe. Comme un Anglais. " Il rit à la fin de sa dernière phrase. " On est Écossais tous les deux. Lui est né à Glasgow, moi à Édimbourg. On a 3 ans et 7 jours d'écart, comme il aime préciser. "

La musique fut à présent plus forte, suffisamment forte pour que le jeune homme à bouclettes n'entende point Maddie gênée par son indiscrétion sur la cause de la mort de Lawrence. Virginie tira la manche de son oncle qui se pencha vers sa nièce après avoir sursauté, et lui cria qu'elle veut rentrer à la maison. Phoenix palpa les poches de son long manteau bleu marine foncé et en sortit un téléphone portable moche qui est un fameux Nokia 3310. Il le tend à sa nièce et lui dit d'appeler sa grande-tante dans ce cas.
Pendant que Virginie composa le numéro de son responsable légal, Phoenix se redressa et s'approcha de Maddie pour continuer de lui parler :

" On ne se voyait pas souvent, Lawrence et moi. Je préférais jouer avec mes potes plutôt qu'avec lui. Qu'est-ce qu'il avait pu m'ennuyer avec ses jeux de cartes ! Lui aussi refusait de jouer avec moi, il n'a jamais été fan de jeux vidéo. J'avais une NES à l'époque et je l'ai toujours ! " Il marqua une pause. " A présent qu'il est au Paradis, c'est seulement maintenant que je me rends compte qu'il était un vrai amour, un saint... vous ne pourrez en croiser, des comme lui. " Il se prit la tête dans ses mains. " My God, qu'est-ce que j'étais con ! ... "

Ses épaules furent secoués de convulsions et il pencha encore plus la tête vers l'avant jusqu'à ses genoux. Il pleurait des larmes de crocodile. Quelques secondes après, il se redressa doucement et renifla contre sa manche qui défilait sous ses narines humides. Ses yeux qui étaient sans cesse dénués de vie étaient scintillants de larmes qui coulaient à flot sur ses joues, malgré son visage triste qui restait impassible, voire étrangement calme tant ses muscles faciaux n'eurent pas de tics.

" Je suis tellement désolé, Maddie... " dit-il d'une voix rouée par le chagrin.