Sutton coupa le contact de sa voiture et resta un instant immobile, fixant le bâtiment devant elle. Elle n’avait aucune envie d’y aller. Surtout que dans sa petite citadine, elle ne craignait rien, grâce à la fermeture centralisé des portes. Mais cette endroit, elle ne le connaissait pas et aller dans un lieu inconnu c’était prendre un risque. Parce qu’au moins, dans les lieux qu’elle connaissait, elle savait de quel côté courir pour sortir le plus vite possible. Là, Derek pouvait bien arriver et elle serait prise au piège. Impuissante. Encore une fois. Elle ne pouvait permettre une telle chose. Elle prit une profonde inspiration avant de la relâcher lentement, tentant de repousser la crise d’angoisse qui montait en elle. Elle posa sa tête sur le volant, les mains toujours crispés dessus. Tout était la faute de sa mère. Sa bavarde de mère. Elle écoutait trop son psy. Et parlait trop de sa fille. Et des problèmes qu’elle avait. Il avait donc suffit qu’elle dise que Sutton était traumatisé par son agression -des termes que Sue évitait soigneusement- pour que son psy lui donne l’adresse d’un groupe de soutien. Un groupe entièrement composé de victimes d’agression de toute sorte. Le premier réflexe de Sue avait été de refuser en bloc. Avant que sa mère ne se mette à la supplier, à la menacer, à lui faire les yeux doux… Tout ce qui était possible et imaginable jusqu’à ce qu’elle parvienne à arracher une promesse à sa fille. Celle d’y aller au moins une fois. Et c’est cette promesse qui la pousse finalement à sortir de la voiture. Mais c’est tout de même en trainant des pieds qu’elle traverse le parking.

Une fois dans le bâtiment, on lui indique la direction du groupe de soutien et c’est très rapidement qu’elle trouve la salle. A son grand désespoir, elle se serait bien perdue, histoire de perdre un peu de temps. Elle reste un instant sur le pas de la porte. Plusieurs personnes sont déjà là, discutant entre eux, buvant et mangeant ce qui est à leur disposition sur une des tables. Et là, Sue regrette de ne pas avoir proposé à Meg de venir aussi. Parce qu’après tout, ensembles, elles étaient plus fortes. Mais quand sa mère le lui avait suggéré, elle avait refusé, ne voulant pas mettre son amie dans une situation délicate. Si elle-même n’avait pas voulu venir, elle n’allait pas l’imposer à sa colocataire. Elle fait alors un premier pas en arrière, prête à faire demi-tour. Mais lorsqu’elle fait le deuxième, sa jambe heurte quelque chose. Elle se retourne alors et écarquille les yeux. Elle n’a pas heurter quelque chose, mais quelqu’un. Elle devient alors totalement rouge, rougissante de honte et de gêne. « Pardon… » Elle venait de rentrer dans quelqu’un. Pire, elle venait de rentrer dans un homme en fauteuil roulant.

Exaspéré, je ne pus m'empêcher de pousser un sifflement agacé entre mes dents. Ce mec me met hors de moi. Il a de la chance qu'on m'ait conseillé d'éviter les mouvements brusque sinon je serais déjà en train de lui faire un joli ravalement de façade. Il a beau essayer de m'expliquer sa pensée de façon diplomatique, je lis très bien entre les lignes : je ne sers à rien. Il refuse de me donner un post aux urgences. Évidemment, je pourrais faire le tri à l'entrée ou faire les examens de routine... Mais non. Il refuse catégoriquement. Pourtant, il sait qu'en cas de soucis, je sortirais de cette maudite chaise pour sauver la vie de n'importe qui. Il sait que je suis prêt à prendre le risque de déplacer l'éclat de balle qui s'est blottie près de ma moelle épinière. Il sait que je serais prêt à tout. J'ai travaillé dans de bien pire condition à Bangui. Mais son regard reste impassible et son visage fermé, il ne me donnera pas de job. Pas tant que je n'aurais pas régler cette histoire de chaise roulante. Alors qu'il sait que cette opération est risquée et ne comporte que peu de chance de réussite, dans 75% des cas, je risque de finir vraiment paraplégique. Si on ajoute les 5% de chance de crever sur la table, ça ne laisse pas grand espoir...

Je frappe du poing sur la table et fais tourner ma chaise pour me tirer de ce bureau trop blanc et trop insensible pour être vraiment celui d'un homme qui à vouer sa vie à la guérison des autres. J'allais pousser la porte quand il m'arrêta. "Vous devriez peut-être penser à la psychologie et à la psychiatrie. Il y a un centre qui organise des groupes de paroles... Vous devriez peut-être..." Je ne le laisse pas finir et sors, furieux.

***

Néanmoins, deux semaines plus tard, je suis là. Dans ce fameux centre. Et je "surveille" ces fameux groupes depuis quelques jours déjà... Je déteste ça presque autant que je déteste avouer que le directeur de l'hôpital avait raison : il me fallait un job et personne ne veut d'un médecin presque handicapé. Je grimace et me prépare à entrer dans la salle quand je remarque le manège d'une jeune femme. Elle hésite clairement à assister à la discussion. Elle a peur. Et elle trouve sûrement ça inutile. Moi aussi, mais j'ai vu certaines personnes s'en sortir grâce à ce genre de groupe. Je réalise soudain qu'elle est sur le point de partir en courant. Sans vraiment réfléchir, je me mets derrière elle. C'était inévitable qu'elle se trébuche sur moi au deuxième pas à reculons. "Pas de problème mademoiselle ! Je ne voudrais pas paraitre impoli mais je pense que vous vous tromper de direction : la porte est par là !" Je souris en désignant la porte de la salle où aura lieu la séance. Je la contourne puis me propulse dans cette direction. "Qui sait ? ça pourrait vous aider !", dis-je en disparaissant dans la pièce.